CHEIKH MBOW DIRECTEUR EXECUTIF DE LA COSYDEP: « Il faut les réformes, mais il faut respecter le processus »

Quinze ans, douze milliards F CFA, des investissements importants, voilà l’approche par les compétences qui est en vigueur au Sénégal. Une révélation du directeur exécutif de la Cosydep, Cheikh Mbow, devant le Jdd, ce dimanche 12 février 2023.
Il dit : « nous faisons partie de ceux qui ont la conviction que le système éducatif devrait carapacé des jeunes acteurs. Il ne faut pas qu’à chaque fois qu’il y a un changement de ministre ou de régime que notre système éducatif puisse faire l’objet d’une réforme. Il est essentiel que l’on soit très inclusif, très participatif, pour pouvoir protéger ce programme et qu’il ne soit pas l’objet de tailleur pédagogique. Il nous faut pas couper une partie du programme pour rappeler l’anecdote avec le ministre Serigne Mbaye Thiam qui avait voulu toucher aux langues notamment l’allemand. Ça a été rejeté. »
Cheikh Mbow de poursuivre : « Donc, c’est une question qui est très sérieuse, qu’il faut bien repenser et qui coûte. Si vous regardez l’approche par les compétences qui nous gouverne aujourd’hui, ça nous a coûté une quinzaine d’années pour y arriver, de 2000 à 2014. Ça nous a coûté douze milliards F CFA, sans les manuels, juste en termes de réécriture du programme mais ensuite en termes de formation des enseignants. Cela nous a coûté des investissements techniques très importants. On avait mobilisé quarante inspecteurs. J’ai eu la chance de faire partie des dix enseignants choisis, pour réécrire le manuel en français. Ça nous a coûté énormément de temps. Nous n’avons pas encore eu à l’évaluer. Nous réclamons qu’on aille vers les réformes mais nous pensons qu’il faut respecter le processus. C’est cela qui pourrait garantir d’avoir quelque chose de solide qui va traverser les temps ».
« Quelle que soit la réforme, le niveau de mise en œuvre reste faible »
Outre le bilan, le Directeur exécutif de la Cosydep, Cheikh Mbow, invité du JDD, ce dimanche 12 février, pointe le faible pourcentage du niveau de mise en œuvre des réformes sur l’éducation. Pour rappel, trois décennies après les États généraux de l’éducation et de la formation (Egef), la communauté éducative tenait les Assises nationales de l’éducation et de la formation (Anef) de septembre 2014. « Quelle que soit la réforme, les pourcentages de mise en œuvre restent faibles », a-t-il déploré.
Pour ce qui est des Anef, a-t-il rembobiné, « nous avons mis presque un demi-milliard de nos francs. Nous avons interrogé la diaspora et tout le monde. Il y a eu beaucoup de contributions. Mais, 5 ans après quand nous avons fait l’évaluation, nous nous sommes rendus compte qu’on était à 20% de niveau de mise en œuvre. » Même si ce taux doit être mis à jour, Cheikh Mbow estime « qu’on ne peut investir tout ça et ne peut avoir les résultats souhaités ».
« Le problème fondamental au Sénégal, c’est que nous n’évaluons pas »
Faisant l’historique des réformes, le Directeur exécutif de la Cosydep, Cheikh Mbow, a rappelé, devant le JDD, ce dimanche 12 février 2023, que les années qui ont suivi l’Indépendance obtenue en 1960, « on nous parlait de nos ancêtres les Gaulois, à travers un prolongement du système éducatif français. » C’est ainsi qu’a-t-il rembobiné, les premières réformes sont survenues dans les années 1962, « où nous avons essayé de revoir les programmes. Ensuite, « on a avancé vers les années 1971, qui est aussi restée une date repère, après mai 1968, où nous avons essayé de revoir un peu les contenus. » C’est-à-dire que « nous avions un programme fondamentalement marqué par un bourrage. C’était comment faire pour donner le maximum de connaissances aux enfants. Il y avait beaucoup de disciplines. Et donc, c’est là où on était dans cet enseignement généraliste. » Après, il y a eu les états généraux de 1981, une des réformes phares de notre système éducatif. Sauf qu’à la question de savoir : Est-ce qu’on a procédé à une véritable évaluation de toutes ces réformes ? Cheikh Mbow a répondu que « c’est ça notre problème fondamental, au Sénégal, nous n’évaluons pas toujours. »
Poursuivant, il a donné l’exemple des phases pilotes sous le règne du Président Abdou Diouf. « Nous l’avons vécu pendant longtemps, ça n’a jamais été évalué. Après, on a fait un bond pour aller dans l’approche par compétences. » D’où sa suggestion : « il ne faudrait pas, pour redéfinir ou repenser notre système éducatif en termes de programmes, qu’on saute l’étape de l’évaluation. » Pourquoi ? « Il faut systématiser l’évaluation, apprendre de ce que nous avons vécu pour pouvoir se projeter. Autrement, on sera dans du pilotage à vue ou juste être dans de la réaction. Toutes les réformes étaient des demandes extérieures, de partenaires, de syndicats. Cette fois-ci, c’est la demande d’apprenants. Il est essentiel de comprendre aujourd’hui qu’il nous faut d’abord entrer par une évaluation objective, profonde du programme actuel avant de nous lancer. Pour nous, c’est un élément essentiel. On ne peut pas simplement nous suffire de perception pour aller vers un changement de programmes. C’est du sérieux. »
Malheureusement, a-t-il constaté, « nos États étaient toujours dans une posture de réaction. On n’a jamais été anticipatoire ni prospectif. C’est ça qui fait que jamais ces réformes n’ont été pour la plupart sérieusement évaluées. Sans l’étape de l’évaluation, c’est souvent des controverses : qu’est-ce qu’il faut enseigner ? Comment faut-il enseigner ? »
« C’est quoi l’école qui nous ressemble »
« Tout lieu d’apprentissage devrait être une préoccupation pour nous ». C’est le plaidoyer du Directeur exécutif de la Cosydep, Cheikh Mbow, invité du Jdd, ce dimanche 12 février 2023. Le but est d’arriver à « une école qui nous ressemble » avec différentes portes d’entrée. « On pourrait même dire des écoles qui nous ressemblent, a-t-il expliqué. Parce qu’on peut avoir des entrées différentes. Le daara est une école. Les Sénégalais peuvent prendre l’option de faire passer leurs enfants par le daara. L’école classique que nous connaissons, c’est une école. Les ateliers, c’est des écoles. Là où on apprend la couture, la menuiserie, la mécanique. Donc, tout lieu d’apprentissage devrait être une préoccupation pour nous. Les entrées peuvent être différentes. Mais l’essentiel, c’est qu’on puisse avoir une sortie. Parce que si nous voulons construire une nation, on ne peut pas avoir des Sénégalais qui sortent d’écoles différentes et qui se regardent en chiens de faïence, qui s’opposent. Combien de fois vous avez vu quelqu’un qui vous dit ‘’je suis un produit du daara, et donc, j’ai plus de valeur’’. L’autre vous dit ‘’écoutez, je suis un produit des écoles classiques, j’ai plus de connaissances’’. »
La part de la religion
Pour Cheikh Mbow, « il faudrait que chaque type d’école puisse inspirer l’autre » à travers « un dispositif qui permette à l’école classique d’apprendre des éléments positifs, des réussites, des forces des daaras. (Lesquelles) doivent apprendre aussi de l’école classique. » Dans son argumentaire, l’invité de Mamoudou Ibra Kane n’exclut pas l’école catholique. Au contraire, il a rappelé que ces écoles confessionnelles sont aussi fréquentées par les enfants musulmans. « Ce qui ne choque pas. Cela veut dire que pour la religion, on n’est plus dans cette ère de laïcité qui exclut la religion de la vie. »
« Inclure l’histoire générale du Sénégal dans le nouveau programme »
Partant du principe qu’une « jonction est possible », l’invité constate : « nous nous rendons compte aujourd’hui, qu’il est essentiel, qu’on parte des besoins, des commandes de la société pour pouvoir construire le programme, qui devra nous permettre de former des Sénégalais. Si nous partons de ça, l’école ne peut pas ignorer la religion, nos valeurs ancestrales, notre culture. Ce sont des aspects très importants. »
Dans ce sillage, il a apprécié la commande du président de la République, Macky Sall, pour la réécriture de l’histoire générale du Sénégal entamée par feu Pr Iba Der Thiam. Ce, pour proposer son inclusion dans le nouveau programme. « C’est un élément essentiel, a-t-il justifié. Vous ne pouvez pas dire je vais enseigner les grandes figures emblématiques mais à partir de l’œil du colon. La plupart de nos figures ont été décrites par d’autres personnes. Nous devons avoir notre propre perception, notre propre analyse de ces figures. C’est à partir des polémiques qu’on va vers la construction de consensus ».